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Axes de recherche

Le modèle qui vient d'être envisagé doit maintenant être testé tous azimuts du point de vue de (A) son succès explicatif et (B) de sa plausibilité théorique.

(A) Sur le plan empirique, qui mobilisera les linguistes, il s'agira de s'assurer que le modèle rend correctement compte de nos intuitions sur le fonctionnement sémantique - détermination du sens et de la référence - de l'ensemble des expressions qu'il entend prendre en charge.

(A1) Ce travail suppose de confronter le modèle à une grande diversité d'expressions, et à une multitude d'usages en contexte, parmi lesquels :

a) les cas dont les modèles concurrents sont censés rendre compte (p. ex. indexicaux, noms propres, descriptions définies et indéfinies, termes d'espèces naturelles) ;

b) les cas actuellement négligés par ces différents modèles mais qui pourraient constituer des défis pour le modèle (p. ex. les contextes intensionnels (B. Leclercq et S. Richard)), ou les contextes métalinguistiques (P. De Brabanter).

Il s'agira de s'assurer que le modèle envisagé est plus inclusif et/ou plus satisfaisant que les modèles alternatifs pour rendre compte du fonctionnement sémantique des expressions traditionnellement prises en compte, mais aussi qu'il peut s'étendre à des expressions (termes sans référent, noms propres de fiction, substantifs abstraits) et à des contextes linguistiques (environnement modaux, attitudes propositionnelles) souvent négligés.

(A2) Nous nous demanderons si et comment le modèle peut s'étendre à des expressions d'autres catégories syntaxiques (phrases, adjectifs, verbes, adverbes, connecteurs). C'est ici que se poseront les questions de la compositionnalité du sens et de la référence, de la distinction entre catégorèmes et syncatégorèmes, et des rapports entre référence et vérité.

Ces investigations ne viseront pas seulement à tester le modèle mais aussi, dans les limites de ses possibilités, à l'adapter pour étendre son champ d'application.

(B) Au plan théorique, il s'agira d'examiner les principales hypothèses sous-jacentes au modèle et leur compatibilité avec certaines thèses développées dans des champs théoriques connexes.

(B1) L'hypothèse de la transparence cognitive des contenus sémantiques (qu'on pourrait résumer par le slogan : « je sais ce que je veux dire »). Cette hypothèse soulève des objections que Wittgenstein avait énoncées en disant (i) que le sens des mots tient dans l'usage collectif plutôt que dans les intentions individuelles et (ii) que quelqu'un d'« aveugle à la signification » ne manquerait rien d'essentiel s'il utilisait les mots correctement/comme les autres.

a) Le premier enjeu oppose internalisme et externalisme sémantique. Le modèle envisagé devrait permettre de réconcilier un internalisme avec l'externalisme physique : en distinguant les conditions sémantiques de satisfaction et la détermination pragmatique de l'environnement d'évaluation, le modèle permet de revendiquer la transparence cognitive du sens sans se contraindre à la transparence cognitive de la référence. En revanche, l'externalisme social (Putnam, Burge), d'après lequel le sens d'un terme dépend de l'environnement social qui préside à son usage, représente une menace pour la transparence cognitive des contenus sémantiques. La transparence est-elle compatible avec la déférence sémantique ?

b) « Phénoménologique » ou « intentionnaliste », la seconde thématique bénéficie d'une attention renouvelée en philosophie de l'esprit : que faut-il à l'esprit pour « vouloir dire » ou pour entendre une expression dans tel ou tel sens (Smith 2001, 2006, 2008) ? Y a-t-il des vécus subjectifs propres à la pensée (Strawson 1994 ; Kriegel 2013, 2015) ? S'agit-il d'images mentales ?

Ces questions dépassent largement les limites du présent projet. Dans la mesure, cependant, où elles sont au centre du projet FNRS d'A. Dewalque, il conviendra de vérifier la compatibilité de ses résultats avec la conception de la transparence cognitive explorée ici.

(B2) Une autre hypothèse tient dans la distinction nette entre une connaissance générale par description, qui régirait le niveau du sens, et une connaissance singulière par accointance, qui déterminerait la référence. Cette hypothèse, dont nous proposons une nouvelle version, comporte des enjeux évidents en épistémologie aussi bien qu'en philosophie de l'esprit.

a) Nous examinerons comment le modèle envisagé et les théories « meinongiennes » précédemment étudiées par B. Leclercq, qui présupposent une sémantique purement descriptiviste, fondent des distinctions (épistémo)logiques aussi importantes que celles entre jugements synthétiques et analytiques, entre identités extensionnelles et intensionnelles, ou entre modalités de re et modalités de dicto.

b) Il conviendrait de préciser au cas par cas le type d'accointance que requiert l'indexicalité référentielle. En particulier, nous interrogerons l'usage des noms propres pour des personnages de fiction. Une hypothèse courante est que ces personnages sont connus exclusivement par description. Mais si, comme chez Husserl, on attribue à l'imagination une dimension « intuitive » et pas seulement « signitive », il devient possible de reconnaître une forme d'accointance avec les personnages de fiction et par là une certaine référentialité de leurs noms.

(B3) Une troisième hypothèse sous-jacente au modèle envisagé est que les contextes d'énonciation déterminent les circonstances d'évaluation, qui peuvent correspondre à différents types de mondes « centrés » (sur un moment, un lieu, un référent). Or, cette idée exige :

a) une enquête linguistique : Comment se réalise cet ancrage ? Quel rôle jouent les anaphores ? Quels sont les liens entre type d'ancrage linguistique et type de mondes centrés ?

b) une enquête logique pour identifier les propriétés des mondes centrés. A ce stade, nous ne pouvons dire quel système formel doit en rendre compte. Un candidat intéressant est la logique de la circonscription de McCarthy (1980, 1986), déjà utilisée pour la sémantique des situations.