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Abstracts

Bruno Leclercq (Université de Liège) : « Meanings are not head. Les poids respectifs de l'intention du locuteur, de la réalité dont on parle, du sens conventionnel fixé par la communauté et du contexte d'élocution dans la fixation du sens d'une expression linguistique »

Affirmer que le sens des expressions linguistiques utilisées par un locuteur ne se réduit pas aux idées ou représentations qu'il a dans la tête et qu'il associe mentalement à ces expressions, et donc que le sens des énonciations d'un locuteur n'est pas entièrement déterminé par ses « intentions », par ce qu'il « veut dire » (mean, meinen) en son for intérieur, c'est d'abord et avant tout reconnaître que les significations se caractérisent par leur caractère intersubjectif, c'est-à-dire par le fait d'être partagées par un multitude de locuteurs. Tel est, on le sait, l'argument principal que l'objectivisme sémantique de Bolzano ou Frege oppose au psychologisme des théories modernes de la signification. Mais tel est aussi le principal argument avancé à leur encontre par une conception plus pragmatiste des significations qui, en identifiant sens et usage, les rapporte aux pratiques d'une communauté linguistique. Dans l'un ou l'autre cas, le sens dépasse les intentions du locuteur et on comprend dès lors que celui-ci n'a jamais qu'une compréhension partielle des termes qu'il emploie, mais aussi qu'il ne peut leur faire dire purement et simplement ce qu'il veut.


Si, dans la notion de signification d'un terme, on inclut en outre la fixation de l'extension des objets auxquels ce terme s'applique, on doit également constater, avec Kripke et Putnam, que nombre d'expressions linguistiques (à commencer par les noms propres ou les termes d'espèce naturelle) voient leur signification dotée d'une dimension indexicale plutôt que descriptive, de sorte que les référents eux-mêmes, les réalités du monde, participent de la fixation de la signification de ces expressions. Au travers de la thèse de la « division du travail linguistique », Putnam s'efforce de rendre compte de la manière dont cet externalisme indexical se combine avec l'externalisme communautaire.

Enfin, la pragmatique linguistique met encore en évidence l'intervention d'autres éléments du contexte d'énonciation dans la détermination de la signification concrète de l'usage de telle ou telle expression dans telle ou telle circonstance, éléments qui sont une fois encore extérieurs aux seules intentions et représentations du locuteur.

Notre exposé, qui se veut introductif, se bornera à évoquer le problème général de l'externalisme sémantique, qui sera traité plus précisément dans à un certain nombre de séances ultérieures du séminaire.

Philippe de Brabanter (Université Libre de Bruxelles) : « Variétés de la déférence »

Dans cet exposé, je tenterai de débrouiller plusieurs phénomènes présentant certaines caractéristiques de ce que certains philosophes ont appelé la déférence. Après avoir discuté quelques exemples chez Putnam, Burge, Recanati et Sperber, je proposerai une distinction entre déférence linguistique (notamment sémantique) - qui concerne l'usage d'une langue et la signification des mots que nous employons - et déférence épistémique - qui concerne les raisons et les éléments sur lesquels nous nous appuyons pour émettre des affirmations. Au sein de la déférence sémantique, je distinguerai entre deux phénomènes: la déférence sémantique par défaut (inspirée des cas examinés par Putnam et Burge, qui indiquent que les conditions de vérité de nos énoncés sont fixées en fonction des normes de la communauté linguistique à laquelle nous appartenons) et la déférence sémantique délibérée (en première approximation, l'acte communicatif intentionnel qui consiste à utiliser une expression donnée selon les normes d'un certain idiolecte ou dialecte). Si le temps le permet, je montrerai également pourquoi il est judicieux de considérer que la déférence sémantique est indépendante du phénomène de la "maîtrise imparfaite" d'une signification ou d'un concept, même si cette maîtrise imparfaite entretient avec la déférence sémantique des liens privilégiés.

Quelques références

Burge, T. (1979) "Individualism and the Mental". Midwest Studies in Philosophy 4: 73-121. Repris dans Burge, T. (2007) Foundations of Mind. Philosophical Essays, vol. 2. O.U.P., pp. 100-150

Burge, T. (1979) "Postscript to 'Individualism and the Mental'". In Burge, T. (2007) Foundations of Mind. Philosophical Essays, vol. 2. O.U.P., pp. 151-181.

Putnam, H. (1973) "Meaning and reference". The Journal of Philosophy 70: 699-711.

Putnam, H. (1975) "The meaning of 'meaning'". In Philosophical Papers 2: Mind, Language and Reality. Cambridge: C.U.P., pp. 215-71.

Recanati, F. (1997) "Can we believe what we do not understand?". Mind and Language 12: 84-100.

Recanati, F. (2000) Oratio Obliqua, Oratio Recta. M.I.T. Press.

Sperber, D. (1985) "Apparently Irrational Beliefs". Chapter 2 of On Anthropological Knowledge, Cambridge: C.U.P., pp. 35-68.

Sperber, D. (1997) "Intuitive and reflective beliefs". Mind and Language 12:67-83.

Guillaume Lejeune (FRS-FNRS, Université de Liège) : « Bradley. De l'indexicalité au performatif »

Dans Appearance and Reality, Bradley analyse le « this ». Il y décrit la confusion du « that » existentiel et du « what » essentiel. Dans le this, l'unité n'est alors que sentie. Une fois que l'on essaye de comprendre le « this » en séparant le contenu (le what) du fait existentiel (le that), on est plongé dans la contradiction. En voulant dépasser l'indexicalité, on est conduit dans le paradoxe des relations (qu'on les comprenne comme interne ou externe). On sent alors chez Bradley une nostalgie de ce paradis perdu qu'est la totalité sentie dans le « this », à tel point que l'on peut se demander, dans la lignée de certaines critiques de James, si l' « absolu » chez Bradley n'est pas une simple retombée qui reconduirait à cet état d'indifférenciation du « this ». Mais alors que le « this » tirerait son sens du fait existentiel, l'absolu tirerait, quant à lui, son existence du discours qui l'énonce. On passerait de l'indexical au performatif.

Stefan Goltzberg (FRS-FNRS, Université Libre de Bruxelles) : « Lecture stratégique entre philosophie du langage, éthique et droit »

Manifestement, la loi contient des lacunes. Selon certains, ces lacunes sont nécessairement apparentes (lex semper loquitur), alors que d'après d'autres, il existe des lacunes bien réelles (Perelman). Dans les deux cas, la question se pose de savoir comment il convient de traiter ces lacunes. La lacune, ce dont la loi ne parle pas, est intimement liée à l'implicite, lequel sous-tend presque toute argumentation juridique. Il est tentant d'appliquer au problème de la lacune des méthodes d'interprétations inspirées des théories de la pertinence (Sperber & Wilson), en montrant combien l'interprétation à privilégier est celle qui suscite le moins d'effort, celle qui est la plus directement accessible et qui ne contredit pas d'autres éléments de la loi. Cette vision quelque peu irénique est remise en question par une approche plus conflictuelle : une lecture du texte de loi qui suspend le principe de coopération cher à Grice, au profit d'une attitude dite « stratégique » (Marmor). Mais que signifie au juste lire stratégiquement un texte de loi ? Certains philosophes, comme Leo Strauss, se sont du reste livrés à une lecture stratégique de textes philosophiques. Quelle est la spécificité de la lecture stratégique en droit et en philosophie ? Qu'est-ce que la lecture stratégique peut nous apprendre sur la différence entre le droit et l'éthique ?

Philippe Kreutz (Université Libre de Bruxelles) : « Les tournures conditionnelles »

Ma communication porte sur les 'Biscuits Conditionals' (BC), illustrés en (1)-(2)-(3)-(4).

(1) There are biscuits in the cupboard, if you want some [Austin, 1961]

(2) If you need anything else, my name is Jill

(3) If am hungry, where are the biscuits?

(4) Just in case you were seasick later on, take these pills before getting on the ferry

La particularité de ces conditionnels est l'indépendance sémantique entre l'antécédent et le conséquent. Les analyses proposées à ce jour présupposent qu'un contenu, un acte ou une relation de pertinence est conditionnel dans ces exemples. Il n'en est rien. Il sera montré sur base de la contribution respective des deux clauses que l'antécédent, en tant qu'expression d'une hypothèse, sert de justification à l'acte de langage accomplit inconditionnellement via le conséquent. L'acte de langage en question est la contribution préventive du locuteur à la résolution d'un problème potentiel induit par l'hypothèse exprimée par l'antécédent. La dimension praxéologique mobilisant la planification et les raisons d'agir n'est pas propre aux BC ; elle est aussi inhérente à l'interprétation des conditionnels ordinaires. Le marquage linguistique des BC sera abordé. Sur base de l'ensemble des critères dégagés dans l'analyse, la définition de la catégorie des 'Biscuits Conditionals' sera testée sur des exemples limites.

Bernard Smette (FRS-FNRS, Université de Liège) : « Le rôle des structures et modèles pour la traduction (entre langages) »

Depuis au moins quelques dizaines d'années, on constate une dissémination du terme de « traduction » au-delà du domaine de la traductologie, ou des translation studies, pour qualifier un certain nombre d'outils méthodologiques « disparates » en usage dans différents champs du savoir et de la culture. Cette exportation de la « traduction » s'est notamment opérée vers la philosophie des sciences où plusieurs chercheurs ont cherché, à partir de cette notion, à rendre compte d'un certain nombre d'enjeux épistémologiques propres à leur domaine de recherche.

On peut constater que cette importation du terme de « traduction » au sein d'un domaine particulier donne à voir différentes articulations conceptuelles entre ce terme et un certain nombre d'autres notions. Or, un moyen de comprendre un concept passe, notamment, par l'identification du champ conceptuel dans lequel il s'insère. Concernant la traduction, et chez des auteurs comme W.V.O. Quine et M. Serres qui sont exemplaires de l'importation de cette notion en épistémologie et en philosophie des sciences, on peut constater qu'elle s'inscrit dans des champs conceptuels dans lesquels figure de manière significative la notion de « structure ».

Cette communication aura donc pour objectif d'esquisser les grandes lignes de cette articulation entre « traduction » et « structure » chez ces deux philosophes. On peut, en effet, raisonnablement penser que de l'éclairage de cette articulation découlera un certain nombre d'hypothèses qui pourront aider à comprendre les raisons qui permettent de faire usage de la notion de traduction en dehors de la traductologie.

Daniel Skurt (Ruhr-Universität Bochum) : « Paracomplistent Circumscription »

Information in databases, as it is well known, can be incomplete and/or inconsistent. It has been argued, for example by N.D. Belnap in his paper "How a computer should think?", that a four-valued logic with a partial order on its truth-values is more suitable for handling queries in databases. On the other hand, as argued by J. McCarthy in his paper "Circumscription - A form of non monotonic reasoning", handling such data can lead to defeasible reasoning, where a non-monotonic logic like circumscription may be needed. Both approaches, circumscription and Belnap's four-valued logic, have their flaws. While the first leads to explosion in the face of contradictions the latter misses modus ponens and disjunctive syllogism. In my presentation, I want to combine both logics and show how one can construct a paracomplete and paraconsistent version of circumscription, which has all the advantages but none of the flaws of the original approaches. This is possible due to the work of Marcel Crabbé in his paper "Reassurance via translation", which I will extend in a natural manner.

Stany Mazurkiewicz (Université de Liège) : « Retour sur le problème du langage et du langage formel à partir de Hegel »

Je profiterai de cette occasion pour revenir sur la question du langage et de la logique philosophique chez Hegel. Je mettrai les thèses hégéliennes en parallèle avec des questions intrinsèques à la logique formelle postérieure. Ce sera l'occasion de montrer que, si logique formelle et logique hégélienne sont fondées sur des choix opposés, ceux-ci sont eux-mêmes ancrés, au moins partiellement, sur une communauté de problèmes, ce qui échappe souvent à l'exégèse. Dans cette mesure, les deux paradigmes ne sont pas incommensurables. Avant de venir à la question de la "formalisation de la dialectique", je problématiserai les bases épistémologiques de tels projets, qui tiennent à la philosophie du langage.

Je procéderai en trois temps :

1) Je reviendrai sur le texte hégélien afin de comprendre son refus de formaliser le discours philosophique. Nous verrons que celui-ci s'ancre dans une conception originale du langage. Ce sera ainsi l'occasion de critiquer les thèses célèbres de Dominique Dubarle, qui reproche à Hegel une méconnaissance de la nature du langage et fonde ainsi la formalisation de son discours sur un malentendu.

2) Nous verrons en quoi certains problèmes motivant Hegel se retrouvent dans la logique formelle postérieure : notamment dans la question du métalangage qui apparaît au grand jour chez Gödel et Tarski.

3) Enfin, il s'agira de montrer en quoi ces problèmes intrinsèques aux systèmes formels motivent chez certains logiciens une redécouverte du discours hégélien, notamment chez Da Costa et Priest. On verra brièvement quel(s) formalisme(s) peuvent naître de la rencontre de Gödel/Tarski et de Hegel du point de vue de la logique formelle. Le discours hégélien peut ainsi faire office de motif d'autocritique pour la logique formelle, ce qui en soi constitue déjà un mérite et justifie que l'on s'y penche de plus près.

Philippe de Brabanter (Université Libre de Bruxelles) : « Les tournures qui mêlent langage-objet et métalangage »

Dans cette communication, je présenterai une typologie des énoncés des langues naturelles dont on peut raisonnablement dire que certains de leurs segments relèvent (semblent relever?) à la fois de la langue-objet et de la métalangue.

Deux exemples, de nature différente, pour donner une idée :

a) Alice dit que Jacques "est évidemment un gros menteur", où le segment entre guillemets est dans la langue-objet (comme le montrent le fait que ce segment contribue à la fois à la structure syntaxique de l'énoncé et à ses conditions de vérité) et dans la métalangue, puisqu'en même temps ce segment est "en mention".

b) I visited Chicago, San Diego, Modesto, San Bernardino and quite a few other cities ending in -o, où l'on décèle sans peine une "category mistake"; mais ces exemples sont fréquents, notamment en linguistique ("le sujet fait l'action").

Que peut faire le logicien de tels énoncés, s'il adhère à une stricte séparation de l'emploi et de la mention ("use and mention", Quine, Mathematical Logic) ? Et si le logicien ne peut rien en faire, sinon les attribuer aux imperfections des langues naturelles, quelle description peut en donner le philosophe du langage ou le linguiste ?

François Dubuisson, Bruno Leclercq, Bernard Smette (Université de Liège) : « Quel langage pour dire les formes du langage ? 3 modèles pour la distinction du langage-objet et du métalangage »

La notion de « métalangage » est solidaire de l'idée que la formulation d'un certain nombre de traits essentiels d'un langage ne peut être entièrement réalisée dans ce langage lui-même, mais suppose de passer à un langage au moins partiellement différent du premier, c'est-à-dire disposant de moyens d'expression (terminologiques et/ou syntaxiques) au moins partiellement distincts de ceux qui caractérisent le premier et que l'on cherche précisément à décrire. Nous tenterons de préciser cette idée en retraçant le développement de trois modèles des rapports entre langage et métalangage qui se sont succédés dans la logique et la philosophie du langage du XXe siècle, à savoir le modèle du langage unique qui ne peut dire ses propres formes (Wittgenstein), le modèle de la hiérarchie des métalangages (Tarski, Carnap) et enfin le modèle des rapports métalinguistiques réversibles (Quine), lequel déplace la question du métalangage vers celle de la traduction. Nous nous efforcerons notamment de traiter la question de savoir si le métalangage doit forcément disposer d'une richesse expressive supérieure à celle du langage qu'il commente, question à laquelle les différents modèles ne répondent pas de la même manière.

Grégory Bochner (FRS-FNRS, Université Libre de Bruxelles) : « Croyances empiriques, indexicalité, et circonstances d'évaluation »

Une théorie traditionnelle analyse les croyances comme des relations dyadiques entre un sujet (à un moment t et dans un monde w) et une proposition. J'esquisserai une conception alternative suivant laquelle les croyances (empiriques) sont des relations triadiques entre un sujet (à un moment t et dans un monde w), un contenu relatif, et une circonstance d'évaluation particulière. Dans le cas des croyances dites "de dicto," la circonstance pertinente est un monde pris dans son entièreté. Dans le cas des croyances dites "de re," la circonstance pertinente est un monde centré sur l'objet qui est donné par la perception ou l'accointance. J'argumenterai que cette conception alternative offre des ressources nouvelles pour traiter plusieurs problèmes classiques dans les théories de la référence, de l'indexicalité, et des attitudes propositionnelles.

Sémir Badir (FRS-FNRS, Université de Liège) : « Epistémologie sémiotique »

Je présenterai trois interventions / incursions de la logique dans mon Epistémologie sémiotique.

La première concerne la définition de l'analyse au moyen d'un symbolisme de type logique.

La deuxième est relative à la question de l'ordre interne (formel) et se donnera à voir selon un problème trivial, au sens propre du terme: la circulation routière par les feux aux carrefours.

La troisième s'interroge sur le statut de la logique naturelle en rapport avec les statuts de langue, langage (naturel) et métalangage.

En somme, et c'est un peu inattendu, la logique intervient dans mon ouvrage quand il est question d'empirisme.